Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, qui s’attendait à voir apparaître, juste après le tableau consacré à la Fraternité, celui, nécessaire et enfin mis en lumière, de la Sororité, à l’égal d’un principe républicain ? Dix femmes ont surgi des obscurités de la Seine, dans une magie d’espoir.
Trois grandes intellectuelles célébrées aux Jeux Olympiques 2024
Sur les dix femmes honorées ce vendredi 26 juillet 2024 au nom de la Sororité, trois sont connues du grand public : la philosophe Simone de Beauvoir (1908-1986) ; Simone Veil (1927-2017), magistrate et grande figure politique française ; et Gisèle Halimi (1927-2020), avocate militante et femme politique.
Les noms des autres sont sans doute apparues pour la première fois à nombres de spectatrices et spectateurs de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Qui donc étaient-elles ?
Trois héroïnes oubliées du sport, de la botanique et du cinéma
Alice Milliat (1884-1957)
Parmi ces dix sculptures dorées émergeant de la Seine, une sportive, Alice Milliat, est à l’origine des premiers Jeux Olympiques féminins en 1924 qui ont concrétisé l’égalité des genres et fondé la sororité dans le domaine sportif.
Ce combat fut semé d’obstacles dont le mépris de Pierre de Coubertin : il jugeait « impratique, inintéressante, inesthétique » la pratique sportive des femmes.
Pour ceux qui idéalisent le personnage de Coubertin…
Jeanne Barret (1740-1807)
On a vu aussi la sculpture de la botaniste Jeanne Barret, la première femme à avoir fait le tour du monde en 1767, après s’être déguisée en homme… Comme les femmes n’avaient pas le droit d’accéder à la Marine Française, Philibert Commerson, qui la voulait dans son équipage à bord de L’Etoile, la fit passer pour son valet, sous le nom de Jean Baré. La vie de cette aventurière est un roman !
«Les marques d’estime reçues par Jeanne Barret de son vivant furent nombreuses, à commencer par celles de Bougainville, qui loue la « scrupuleuse sagesse » de la première femme à « faire le tour du monde ». Le prince de Nassau-Siegen, volontaire dans l’expédition, avec qui elle herborise au détroit de Magellan, lui rend également un hommage appuyé, estimant que son « aventure peut avoir place dans l’histoire des filles célèbres ». Par ailleurs, Bougainville plaide, en 1785, pour qu’elle obtienne une pension royale en spécifiant que « Jeanne Barré partagea les travaux et les périls de [M. de Commerson] avec le plus grand courage ». Commerson donne son nom à un petit arbrisseau des Mascareignes, dont la description, qui mentionne l’héroïsme et la vaillance de la jeune femme, dit bien toute l’affectueuse – quoique discrète – admiration qu’il lui portait. »
Guillaume Calafat, « 1768. Jeanne Barret découverte à Tahiti », in Romain Bertrand éd., L’Exploration du monde. Une autre histoire des Grandes Découvertes, Le Seuil, 2019, p. 327-331.
Alice Guy (1873-1968)
Une réalisatrice de cinéma, Alice Guy, a aussi été distinguée dans ce tableau en l’honneur de la Sororité pour avoir réalisé en 1896 La Fée aux choux. Ce film est considéré comme le premier film narratif, même si les débats demeurent vifs autour de cette primauté : certains voudraient l’attribuer à Louis Lumière avec L’Arroseur arrosé. De fait, Alice Guy n’a que récemment été mise en lumière, après que ses films ont été perdus et son nom totalement effacé de l’histoire du cinéma.
Quatre écrivaines oubliées, au service de la sororité
Dans cette prodigieuse galerie olympique, sept sont des femmes de lettres. En plus de celles citées plus haut, les plus connues comme Simone de Beauvoir, Simone Veil et Gisèle Halimi, quatre ont été oubliées ou jamais mises sur le devant de la scène. Il est temps de les faire connaître :
Christine de Pizan (1364-1431)
Christine de Pizan évoque peut-être pour quelques initiés La Cité des Dames de 1404 : une célèbre miniature représente la philosophe, truelle à la main, au milieu du grand chantier de la cité idéale où la Sororité est un principe fondateur.
Mais l’oeuvre est immense : autobiographie, poésies, oeuvres politiques, religieuses… Christine de Pizan demeure encore une grande inconnue.
Olympe de Gouges (1748-1793)
D’Olympe de Gouges, certain.e.s connaissent sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne de 1791, mais qui a lu son théâtre et ses multiples écrits politiques ?
Présente sur tous les fronts pendant la période révolutionnaire, elle est condamnée à mort en 1793. Le procureur de la Commune de Paris déclare : « [cette] virago, la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. »
« Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent à être constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaltérables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration constamment présente à tous les membres du corps social leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs et au bonheur de tous. »
Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, 1791.
Louise Michel (1830-1905)
Les féministes savent, pour la plupart, que Louise Michel, institutrice de son métier, a connu un terrible destin : elle fut violemment réprouvée et condamnée pour ses actions pendant la Commune, pour son engagement en faveur des droits de la femme. C’est une héroïne historique dont les combats sont encore largement oubliés. Elle a aussi beaucoup écrit tout au long des épreuves de la vie : ses mémoires, des poèmes, des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et, bien sûr, d’innombrables articles engagés. Tous ses écrits sont en grande partie ignorés.
« La tâche des instituteurs, ces obscurs soldats de la civilisation, est de donner au peuple les moyens intellectuels de se révolter. »
Louise Michel, Mémoires, 1886.
Paulette Nardal (1896-1985)
Totalement ignorée du grand public, Paulette Nardal est la première femme noire à avoir étudié à la Sorbonne, en 1920. Martiniquaise, elle est venue à Paris pour faire sa thèse sur l’écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe, célèbre pour son roman La Case de l’oncle Tom en 1852. Sa vie est un double combat pour la défense des droits des Noirs et des femmes. Elle est à l’origine, avec Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, du mouvement de la Négritude. En 1931, elle est co-fondatrice de la Revue du monde Noir. Mais qui s’en souvient ?
« J’ai souvent pensé et dit, à propos des débuts de la négritude, que nous n’étions que de malheureuses femmes, ma sœur et moi, et que c’est pour cela qu’on n’a jamais parlé de nous. C’était minimisé du fait que c’étaient des femmes qui en parlaient. »
Fiertés de femme noire. Entretiens, mémoires de Paulette Nardal, de Philippe Grollemund, l’Harmattan, 2018.