Louise Michel, romancière

Louise Michel à Nouméa

Louise Michel (1830-1905) est connue comme militante anarchiste, fervente féministe. Mais qui connaît ses romans ? Quelle histoire littéraire lui fait une place? Louise Michel est en réalité une écrivaine invisibilisée. Même Thierry Maricourt, dans son Histoire de la littérature libertaire en France (Albin Michel, 1990), ne rend pas hommage à ses talents d’écrivaine. Il rabaisse son œuvre littéraire au rang de simple document : « Les Mémoires de Louise Michel se lisent avec plus d’intérêt que ses poèmes et ses romans. Elle est apparemment plus à l’aise lorsqu’elle ne s’essaie pas à la fiction. Et c’est ainsi que son œuvre doit être lue aujourd’hui : comme un témoignage de première main sur une époque. » Son action militante fait écran ; il faut réparer cette appréciation qui rejette une fois de plus une femme de talent hors du champ littéraire.

Les trois premiers romans de Louise Michel

Ses œuvres autobiographiques occupent une vaste place dans ses écrits et sont les plus connues. Cependant, Louise Michel écrivit aussi des poèmes et surtout des romans. On commence enfin à les redécouvrir : en 2013, Claude Rétat et Stéphane Zékian ont publié aux Presses Universitaires de Lyon une édition critique de trois romans, Les microbes humainsLe monde nouveau et Le claque-dents  qui datent respectivement de 1886, 1888 et 1890.

Revenue du bagne en 1880, Louise Michel était retournée en prison de 1883 à 1886. Puis, pendant la période très féconde de 1886 à 1890, elle avait publié coup sur coup chez Dentu ces trois ouvrages qui constituent, selon les éditeurs de ces romans, « trois actes scandant l’écroulement du vieux monde et l’avènement du nouveau ».

On peut lire un compte rendu de cette première édition critique des trois romans dans la revue Clio (40 | 2014) : selon Patricia Izquierdo, l’immense travail d’édition de Claude Rétat et Stéphane Zékian éclaire la genèse et la nature de ces écrits « de propagande révolutionnaire ». Il permet aussi « de se rendre compte de l’intérêt littéraire de l’écriture de Louise Michel » : ces trois récits « restent inclassables et intéressants par leur dimension transgressive, provocatrice et prophétique ».

Trois romans de Louise Michel

La Chasse aux loups : « diffuser l’anarchie par la fiction »

La Chasse aux loups, roman de Louise Michel

En 1890, Louise Michel poursuit son œuvre de romancière avec La Chasse aux loups, roman inédit en librairie, publié en feuilleton en 1891 et disparu depuis : « il raconte une immense chasse à l’homme, le terrorisme, la grève générale, et la révolution. Écrit à Londres, il mêle l’Angleterre, la Russie, et même la Chine dans une utopie sanglante et cosmogonique. »

Claude Rétat est de nouveau à l’origine de la publication de ce grand roman, perdu, oublié et enfin accessible aux Classiques Garnier (2018).

Deux articles de Romain Broussais, historien du droit à l’Université de Rouen, rendent compte de l’originalité de ce roman de Louise Michel. On peut les lire dans les deux derniers numéros de la revue Droit et littérature : le n° 7 2023, p. 161-177 et le n° 8 2024, p. 293-306. « Diffuser l’anarchie par la fiction » : tel est le titre du second article qui définit bien l’objectif clé de la romancière.

« Dans ce passage londonien, Louise Michel persiste dans les thématiques classiques de l’anarchisme politique mais aborde également des thématiques sociales auxquelles elle confronte des idées. » (Romain Broussais, « Diffuser l’anarchie par la fiction », Droit et littérature, n° 8 2024, p. 293)

Revue Droit et littérature

Tandis que la première partie du roman se situe en Russie, la deuxième se déroule à Londres où la romancière a dû se réfugier en 1890. Elle y retrouve de nombreux exilés européens identifiés comme anarchistes, sous haute surveillance de la police britannique. Elle rédige donc ce roman d’inspiration autobiographique pendant les deux années 1890 et 1891.

En même temps qu’elle écrit, elle se consacre à la création d’une école internationale, destinée à accueillir les enfants de tous ces réfugiés. Elle n’en poursuit pas moins ses activités de militante anarchiste. Son école est d’ailleurs rapidement fermée : la police y découvrit des explosifs et du matériel de fabrication de bombes.

Dénoncer le pouvoir : au coeur du roman de Louise Michel

Le juge par Honoré Daumier
Le juge, la mère et l’enfant par Honoré Daumier

Paul et Ebenezer sont les principaux personnages de La Chasse aux loups ; ils font pénétrer le lecteur dans « la fange miséreuse londonienne ». Selon Romain Broussais, le roman à idées de Louise Michel a un objectif essentiel : dénoncer le pouvoir, « ennemi commun de l’humanité », comme le nomme la romancière (p. 110). Or l’ennemi premier, le plus redoutable, c’est l’Etat, le « maître des maîtres » (p. 115).

Le roman met concrètement en scène les agents du pouvoir de l’Etat. Le « policeman » anglais est ainsi omniprésent. Mais le plus redoutable, c’est le juge. En effet, le pouvoir du policier est affaibli, d’après Louise Michel, car « la discipline broie l’intelligence » (p. 114), alors que le juge, bras armé de l’Etat, incarcère, sait ce qu’il fait en usant de son pouvoir impitoyable.

Autres agents du pouvoir : le capital, les riches sont violemment stigmatisés comme les responsables de la misère des ouvriers exploités :

« Les fourrures dont vous êtes couverts vous désignent à la défiance générale ».

L’alternative anarchiste et la question sociale

Face à la menace du pouvoir sous toutes ses formes, Louise Michel préconise l’action, « la chasse aux loups ». Dans son article, Romain Broussais cite cette phrase terrible et caractéristique de la détermination de l’écrivaine : il faut « reprendre aux fauves du pouvoir le monde dévoré par eux aux dépens de la misère et de la mort de tous ». Toute sa vie, la romancière a été confrontée à l’horreur de la pauvreté dont son altruisme naturel a été mortellement blessé. Elle a affronté la maison de correction, la prison à plusieurs reprises, la déportation en Nouvelle Calédonie, afin de porter sans concession ses convictions sociales égalitaristes.

A travers la fiction, comme dans ses multiples conférences, elle a prôné un idéal collectif d’humanité articulé au souci immédiat du bien de chaque individu. Elle fut soutenue comme une héroïne de la liberté par Clémenceau qui lui écrivit pendant son long exil en Nouvelle Calédonie et qui la sauva de la prison. Elle fut admirée par Victor Hugo qui lui consacra un poème, « Viro major » et qui ne cessa de l’encourager par une correspondance assidue.

Louise Michel romancière sut porter dans la fiction littéraire le combat et les idées en faveur des plus fragiles de la société. Son œuvre est toujours d’actualité.

« La République que nous voulons, c’est celle où tout le monde travaille, mais aussi où tout le monde peut consommer ce qui est nécessaire à ses besoins. » (Défense de Louise Michel, Imprimerie du Progrès, 1883, discours prononcé par Louise Michel devant la cour d’assises de la Seine).

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