L’actualité de la recherche : lumière sur les écrivaines

Le début de l’année 2025 confirme le dynamisme de la recherche sur les écrivaines invisibilisées. Le site de recherche littéraire Fabula rend compte des nouvelles publications qui font la lumière sur les écrivaines. Signalons celles qui font sortir de l’ombre quatre femmes créatrices. Tout d’abord, Olympe de Gouges, célèbre révolutionnaire dont on ne connait souvent que la terrible et géniale formule : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune « . Puis, Flora Tristan, figure pionnière du féminisme et du syndicalisme dont l’œuvre est finalement peu lue aujourd’hui. Au 19e siècle encore, Adèle Hugo est aussi mise à l’honneur, tandis qu’on a seulement retenu sa tragique errance sur les traces d’un amour impossible. Le film de Truffaut a permis de sortir de l’ombre, sous les traits d’Isabelle Adjani, son destin brisé ; mais il a sans doute aussi occulté la femme d’écriture. Enfin, bell hooks continue d’être mieux connue comme militante féministe à travers la traduction de ses œuvres français.

Olympe de Gouges

Olympe de Gouges
Anonyme, Olympe de Gouges. Mine de plomb et aquarelle, XVIIIe siècle.
Musée du Louvre.

L’actualité sur Olympe de Gouges (1748-1793) est riche : deux publications en février 2025.

Elise Pavy-Guilbert propose une nouvelle édition de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne chez Flammarion en collection « GF-Flammarion ». En 2013, chez Grasset, Benoîte Groult avait déjà publié Ainsi soit Olympe de Gouges : la Déclaration des droits de la femme et autres textes politiques et, l’année suivante, Martine Reid avait préfacé Femme, réveille-toi ! : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, publié chez Gallimard, dans la collection « Folio 2€ ».
C’est donc un texte bien diffusé et assez connu désormais. Cette nouvelle édition a l’avantage de proposer un appareil critique très complet, avec une présentation, des notes, un dossier, une chronologie et une bibliographie.

Quatrième de couverture :
 » La participation active des femmes durant la Révolution, aux côtés de nombreux hommes, est aujourd’hui reconnue.
Contre Marat, et surtout contre Robespierre, se dresse Olympe de Gouges. Elle gagne Paris au début des années 1770, commence à écrire et ne s’arrête plus. Roman épistolaire, pièces de théâtre, conte philosophique, lettres, brochures, affiches et sa célèbre Déclaration : elle s’essaie à tous les genres en une écriture engagée, aux allures de fuite en avant, prête à mourir pour ses idées modérées qui la conduiront à la guillotine.

Pierre angulaire du combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes, ce texte redécouvert au début du XXᵉ siècle continue de stimuler nos débats. « 

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
Publication sur Olympe de Gouges

A cette nouvelle publication du texte essentiel d’Olympe de Gouges s’ajoute un récit biographique qui retrace  » les grandes heures de cette combattante enthousiaste des lettres, de l’amour et de la liberté, qui mena une vie accomplie et volontaire, jusqu’à braver les pires dangers dans les orages de la Révolution. » Florence Lotterie et Elise Pavy-Guilbert publient ainsi Olympe de Gouges, une femme dans la Révolution chez Flammarion.

La fin tragique sur l’échafaud de la célèbre révolutionnaire, à quarante-cinq ans, ne doit pas faire oublier tous ses combats livrés dans le Paris des Lumières. Défenseuse de l’égalité civique entre femmes et hommes, elle est présente sur tous les chantiers sociaux au service des exclus. Elle est aussi une dramaturge militante avec des pièces aux titres éloquents : La Nécessité du divorce, pièce non publiée ; Le Couvent, ou les vœux forcés en 1790 ; L’Esclavage des Noirs, ou l’heureux naufrage en 1792, par exemple. L’ œuvre littéraire est en grande partie oubliée et ce récit incitera peut-être à sa découverte.

Flora Tristan

Flora Tristan
Flora Tristan
par Jules Laure

Lumière sur Flora Tristan (1803-1844) : Brigitte Krulic est déjà autrice d’une biographie de l’écrivaine parue en 2022 chez Gallimard. Elle publie cette fois-ci en collection  » Folio 3€ », L’Aventure de l’émancipation féminine.

Il s’agit d’une anthologie de onze textes représentatifs d’une œuvre frondeuse dont des pans entiers restent totalement méconnus. Le personnage de « l’intempestive » est demeuré célèbre comme figure originale du féminisme d’avant-garde et du socialisme. Pourtant, son œuvre est peu éditée. On peut tout de même la retrouver, en partie numérisée, sur Gallica.

Publication sur Flora Tristan : L'Aventure de l'émancipation féminine

Quatrième de couverture
 » Pour Flora Tristan, changer les lois qui enserrent la vie des femmes et établir leurs droits imprescriptibles d’êtres humains présupposent l’instauration de rapports foncièrement différents entre les sexes. Elle exhorte les hommes comme les femmes à se débarrasser des liens de l’usage, à modifier les représentations inégalitaires venues du fond des âges : autrement dit, à poser un regard neuf sur ce qui semblait ancré dans une nature immuable. Femme de réflexion et d’action, elle a poursuivi une quête de l’unité qui dépasse et transfigure les discordances pour réaliser enfin l’émancipation du genre humain. « 

Adèle Hugo

Publication sur Adèle Hugo

Lumière sur Adèle Hugo (1830-1915) : à partir des écrits de la fille cadette de Victor Hugo, Laura El Makki reconstitue l’histoire de cette femme recluse avec le clan Hugo dans son exil à Jersey puis à Guernesey. Elle met en lumière une écrivaine invisibilisée.

Elle brise ainsi une image réductrice et stéréotypée d’une authentique créatrice. Adèle Hugo, ses écrits et son histoire est publié aux éditions Séghers et a reçu le prix Victor Hugo.

On ne laisse d’évoquer la fragilité mentale d’Adèle Hugo et ses quarante années passées en hospice après son errance éperdue au Canada sur les traces du lieutenant britannique Albert Pinson. Adèle Hugo fut pourtant une créatrice à part entière et cet aspect de sa personnalité reste totalement occulté. Elle tint le journal de bord de la famille Hugo pendant toute la période de l’exil ; et surtout, son journal intime révèle une originalité troublante. Celui-ci a fait l’objet d’une édition par Frances Vernor Guille en quatre volumes chez Minard, entre 1968 et 2002.

Sait-on encore que Adèle Hugo, pianiste, composait ? En 2004, la conservatrice de Hauteville House à Guernesey, Odile Blanchette, signalait l’existence d’une malle contenant des partitions manuscrites inédites d’Adèle Hugo. D’après le compositeur Richard Dubugnon,  » c’est une musique délicate, mélancolique et, par moments, assez étrange, avec des modulations inattendues qui ne sont pas le fait d’un manque de métier, mais qui s’inscrivent dans la recherche d’une voie personnelle, d’une volonté de s’écarter de ce qu’elle a pu entendre « . (Pierre Gervasoni, « L’énigmatique Adèle Hugo, compositrice restée méconnue « , Le Monde, 28 août 2023). L’année suivante, un album est même sorti chez Alpha, présentant une sélection de ses mélodies, sur des poèmes de son père, chantées par Karine Deshayes, Sandrine Piau, Isabelle Druet, Axelle Fanyo, Anaïs Constans et Laurent Naouri accompagnés par l’orchestre Victor Hugo sous la direction de Jean-François Verdier.
Voici donc une tout autre figure de femme écrivaine et compositrice qui sort enfin de l’ombre.

bell hooks

Lumière sur bell hooks : Rouge feu (Wounds of Passion, USA, 1997), suite chronologique de Noir d’os (Bone Black: Memories of Girlhood, USA, 1996), vient d’être traduit en français par Lorraine Selle-Delavaud, chez Plon.

La traduction du premier volume de l’autobiographie de bell hooks date de l’année dernière. Après le récit de l’enfance, nous découvrons la militante féministe américaine sous son vrai nom Gloria Jean Watkins : la voici entrée à l’université, avec le début de son engagement politique et de sa carrière d’écrivaine.

bell hooks

 » Rouge feu est le livre de l’engagement de bell hooks contre le racisme et le sexisme, jusqu’au cœur de l’institution académique, quitte à être freinée dans sa carrière. C’est aussi un texte d’une grande sincérité, qui n’évacue ni les remises en question ni le découragement.  »

(Gladys Marivat,  » Rouge feu « , de bell hooks : éveil d’une afroféministe libre « , dans le Monde des livres, 5 février 2025)

Grâce à ces publications, quatre écrivaines sont ainsi mises à l’honneur en ce premier trimestre 2025. Le chantier sur les écrivaines invisibilisées s’enrichit et montre une dynamique fructueuse.

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