Marguerite Audoux (1863-1937)

Bergère en Sologne…

Marguerite Donquichotte tient son nom de son père orphelin. L’usage voulait que les enfants abandonnés se voient attribuer un nom par un officier d’état civil, à l’inspiration quelquefois fantasque. Mais la jeune fille adopte finalement le nom de sa mère, morte quand elle avait trois ans. Après plusieurs années à l’orphelinat de Bourges, elle est placée comme bergère en Sologne. Elle a quatorze ans.

 » – Nous avons décidé de vous placer dans une ferme de la Sologne.
Elle ferma les yeux à demi pour me dire.
– Vous serez bergère, mademoiselle !
Elle ajouta, en appuyant sur les mots :
– Vous garderez les moutons.
Je dis simplement :
– Bien, ma Mère.
Elle remonta des profondeurs de son fauteuil, et demanda:
– Vous savez ce que c’est que garder les moutons ?
Je répondis que j’avais vu des bergères dans les champs.
Elle avança vers moi sa figure jaune, et reprit :
– Il vous faudra nettoyer les étables. Cela sent très mauvais; et les bergères sont des filles malpropres. Puis, vous aiderez aux travaux de la ferme, on vous apprendra à traire les vaches, et à soigner les porcs. » (Marie-Claire, 1910)

Marguerite Audoux

Couturière à Paris

« Orpheline, bergère, puis couturière, Marguerite Audoux n’était pas prédisposée à connaître le succès. Que s’est-il donc passé pour que ce ‘miracle’ s’accomplit? » Dans sa préface à l’édition du premier roman de l’écrivaine, qui lui a valu le prix Femina, Bernard Marie-Garreau illustre en un raccourci saisissant l’itinéraire improbable de cette fille de la campagne, montée à Paris, après avoir été rejetée de la ferme et du couvent. Voici la dernière phrase de son roman autobiographique Marie-Claire qui s’achève sur son départ vers la capitale : « Le train siffla un premier coup, comme s’il me donnait un avertissement ; et quand il m’emporta, son deuxième coup se prolongea comme un grand cri. »

Effectivement, la nouvelle vie de Marguerite est semée d’embûches : entre son départ de Bourges en 1881 et son succès littéraire en 1910, elle traverse vingt années de misère, comme couturière, comme ouvrière à la Cartoucherie de Vincennes, à l’époque une fabrique d’armement, comme lingère. Elle perd un enfant, elle s’épuise la nuit à lire et à écrire, jusqu’à ce qu’elle rencontre Michel Yell, de son vrai nom Jules Iehl. Le jeune homme aux velléités d’écrivain l’introduit dans son cercle d’amis dont Gide, Charles-Louis Philippe. Le miracle est enfin arrivé : ils découvrent le manuscrit autobiographique de Marguerite et le font parvenir à Octave Mirbeau.

Voici sa réaction : « Lisez Marie-Claire, disait-il, et quand vous l’aurez lue, sans vouloir blesser personne, vous vous demanderez quel est parmi nos écrivains – et je parle des plus glorieux – celui qui eût pu écrire un tel livre avec cette mesure impeccable, cette pureté et cette grandeur rayonnante. » (Marguerite Audoux, un cœur pur, de Georges Reyer, Paris, Grasset, 1942).

Détail d'un tableau d'Artemisia

Et le Prix Femina en 1910

Le roman paraît en 1910 (Bibliothèque-Charpentier, Fasquelle) et remporte le prestigieux prix Femina. Il en est vendu plus de cent mille exemplaires ; il est traduit en plusieurs langues. C’est le sommet de sa carrière littéraire.

Les titres suivants ne connaîtront plus le même rayonnement : L’Atelier de Marie-Claire, dix ans plus tard ; De la ville au moulin en 1926 et Douce lumière en 1937, roman posthume. La même année, le magazine féminin Marie-Claire est fondé en référence à son œuvre mais l’oubli a déjà relégué la romancière aux portes de l’histoire littéraire.

Marie-Claire de M. Audoux

Portée vers la réussite par ses amis masculins du milieu littéraire, elle s’est ensuite effacée dans les marges du succès avec leur disparition. Charles-Louis Philippe est mort en 1909, Michel Yell se marie avec une autre en 1912, Alain-Fournier meurt en 1914 et Octave Mirbeau en 1917.

Détail d'une tapisserie du 16e siècle au château d'Azay-le-Ferron, L'enlèvement des Sabines

Et aujourd’hui ?

Audoux renaît. Une biographie est parue en 2025 aux Editions des femmes, sous le titre Le Cas Marguerite Audoux. Géraldine Doutriaux romance un peu, pour combler les zones d’ombre de la vie de cette brillante écrivaine au destin obscurci.

Il faut signaler les travaux de Bernard-Marie Garreau qui a beaucoup œuvré pour exhumer son œuvre : il lui a consacré sa thèse, une biographie en 1991 –Marguerite Audoux, la couturière des lettres, chez Tallandier- et plusieurs essais. Il a eu la chance de se voir confier de nombreux documents par la famille de l’écrivaine dont un grand nombre sont en accès libre dans des archives ouvertes depuis 2020 : des lettres, des brouillons, des photos.

Un musée Marguerite Audoux a ouvert en 2015 à Sainte Montaine, dans sa ville natale. On peut s’y attendrir sur sa machine à coudre, dans laquelle elle cachait son manuscrit de Marie-Claire. Ses meubles, signés de Francis Jourdain, sa correspondance, ses manuscrits originaux, ses accessoires d’écriture, ses tableaux et ses photos font plonger le visiteur ému dans l’univers de cette femme de lettres inoubliable.

En décembre 2020, l’émission de France culture, « Entendez-vous l’éco », lui a aussi consacré une émission « Marguerite Audoux : lumière sur les ouvrières ». On y découvre une femme à la charnière entre le milieu populaire, paysan puis ouvrier, et les milieux intellectuels de la Belle Epoque. Belle Epoque, certes, mais pour certains seulement. La romancière en témoigne dans une œuvre qui n’est pourtant ni dogmatique ni ouvertement militante. Le style suggestif et même souvent poétique immerge le lecteur dans une réalité prégnante et authentique.

En 2020 encore, une chronique de la série en ligne Fières de lettres, publiée par le journal Libération, a été consacrée à Marguerite Audoux. C’est Claire Bouchard qui présente une analyse à la fois biographique et littéraire, richement illustrée des documents de la Bibliothèque nationale de France. Il ne faut pas se fier au titre choisi, trop réducteur : « écrivaine du terroir ». La chronique va heureusement bien au-delà de ce simple cliché, aujourd’hui dépassé pour cette romancière remarquable.

Aujourd’hui, on peut honorer sa mémoire au cimetière de Saint-Raphaël où elle a terminé sa vie.

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