Christine Pawlowska (1952-1996)

Ecarlate, l’unique livre, oublié

Autrice oubliée d’un seul livre, publié au Mercure de France en 1974, Christine Pawlowska s’est brûlé les ailes, fuyant dans l’ombre ses fantômes. Son récit autobiographique, Ecarlate, sidère le lecteur par sa fulgurance. L’écrivaine se donne dans les mots, entière, et elle se consume de ses « merveilles multicolores ».

« Alors, les yeux grands ouverts dans le noir, j’inventais des histoires insensées où je perdais toute mesure, enfin libérée des contraintes du jour. Je voyais des paysages rouges et noirs, des chevaux galopant dans le grand vent d’une plaine, des champs de rose pourpres ployées sous l’orage, des châteaux fantastiques auréolés de brume où de pâles princesses se laissaient mourir d’amour. Je m’endormais sur ces visions passionnées et le jour venait trop vite. Je n’ai jamais aimé le jour. »

Ecarlate de Christine Pawlowska Mercure de France

Une œuvre, une vie, redécouvertes

Ecarlate de Christine Pawlowska Ed. du sous-sol

Christine Pawlowska, de son vrai nom Kujawa, sort enfin de l’oubli grâce à son biographe, Pierre Boisson, qui retrace sa vie dans un ouvrage très documenté et au plus proche de cette personnalité originale. La biographie Flamme, volcan, tempête est publiée l’été 2025 aux Editions du sous-sol. Ecarlate est alors réédité chez le même éditeur. Pierre Boisson se rappelle cette rencontre avec le livre, « en arrière-plan d’une bibliothèque, invisible, dissimulé ».

Biographie de Christine Pawlowska par Pierre Boisson

« Repliés à l’intérieur, deux rabats racontaient l’histoire singulière d’un manuscrit arrivé à la maison d’édition, alors dirigée par Simone Gallimard, sous la forme d’un cahier scolaire à spirale (de couleur rouge, lui aussi), sans que son autrice en ait été informée. Le texte, d’une violente nudité, était si éblouissant qu’il avait été décidé de le publier tel quel, le plus vite possible. Il y avait dans Ecarlate, précisait encore cette brève introduction, une « radiation que les livres, normalement, n’ont pas. » Difficile de résister à une telle présentation. » (Flamme, volcan, tempête, p. 11).

Dans un entretien avec Johan Faerber, sur le site d’information culturel COLLATERAL, Pierre Boisson retrace les étapes d’une enquête qui s’est heurtée à de nombreuses zones d’ombre. Dans les archives conservées au Mercure de France, il lit la correspondance de l’autrice avec Simone Gallimard : la promesse d’un deuxième livre en cours d’écriture laisse espérer au biographe un manuscrit perdu. La quête est vaine mais permet de découvrir des poèmes, transmis aux enfants de Christine Pawlowska après sa mort. L’un d’entre eux clôt la biographie, une « Elégie » aux derniers vers prémonitoires :

« La nuit s’irrite et puis s’enflamme.
Ma main n’est plus qu’un cri muet,
Deuil d’un poème pour mon âme
Et que jamais je n’écrirai. »

Orage, Hélène Maurel
 © Hélène Maurel

Au fil de son enquête, Pierre Boisson parvient à reconstituer son parcours : un peu en retrait d’une bande de marginaux d’Alès, elle vit pleinement des années de liberté marquées par les morts accidentelles et prématurés d’amis de passage. Christine travaille dans un centre de formation pour demandeurs d’emploi ; elle aide au mieux ceux qui l’attirent, des exclus, comme elle. Mais son grand amour, Gipsy, un braqueur, l’entraîne irrémédiablement dans une descente aux enfers. La jeune femme, en octobre 1995, se retrouve en fauteuil roulant, les pieds fracturés. Elle tente d’échapper à la violence conjugale, à l’alcool. Mais elle est retrouvée morte, d’une morte mystérieuse, que ni l’enquête ni l’autopsie n’ont réussi à élucider.

Christine Pawlowska, dans la lumière écarlate

Voici comment Pierre Boisson, dans son entretien sur Collatéral, tente de résumer le récit de Pawlowska.
Bien au-delà des faits, Ecarlate renvoie à une époque, les années 70, période clé dans l’histoire de l’émancipation des femmes. Annie Ernaux publie cette même année 1974, son premier roman Les Armoires vides.

Deux destins se sont croisés : l’une a succombé, l’autre s’est auréolée du prix Nobel. De quoi espérer que le plafond de verre peut céder…

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