Madeleine Pelletier, une avant-gardiste enfin reconnue

L’édition critique de Christine Bard, qui préside l’association Archives du féminisme, permet enfin de lire les mémoires de Madeleine Pelletier (1874-1939), tout en prenant la mesure des obstacles terribles rencontrés par cette militante. Douée, audacieuse et défenseuse des droits de la femme, elle fut violemment marginalisée par une société soucieuse de maintenir un certain ordre moral et patriarcal.

Madeleine Pelletier 1910

La publication de Mémoires d’une féministe intégrale en Folio, chez Gallimard, rend hommage à l’œuvre d’une intellectuelle, doctoresse en psychiatrie, romancière, dramaturge et autrice de multiples articles et essais. Madeleine Pelletier fut longtemps invisibilisée, comme nombre de femmes créatrices de la première moitié du XXe.
Certes, elle publia beaucoup de son vivant mais ses archives furent négligées, et en partie perdues. Elle ne fut redécouverte, timidement, qu’à partir des années 1970 grâce aux initiatives de Michelle Perrot, en particulier. Et les recherches universitaires s’amorcèrent seulement dans les années 1990. Cette publication en format poche était donc indispensable.

Christine Bard nous donne à lire, avec de précieuses notes et annexes, ses Mémoires d’une féministe, jamais publié en français. Son Journal de guerre datant de 1914 révèle aussi une vision lucide, à la fois désespérée et déterminée, d’un monde qui bascule vers la mort. Enfin, son récit autobiographique, conçu en 1939 sous le titre Anne, dite Madeleine Pelletier, dévoile le terreau de son enfance, vouée à la pauvreté et à l’humiliation, sans que jamais pour autant l’obstination forcenée de Madeleine ne soit anéantie. Enfin, son roman autobiographique publié en 1933 et intitulé La Femme vierge le personnage de Marie Pierrot : « le récit, malgré les échecs qui brident l’héroïne, est celui d’une femme qui décide de sa vie, à la recherche de la plus grande indépendance, tout en restant attentive aux autres et généreuse dans ses engagements». Le double, en vérité, de Madeleine Pelletier, condamnée à l’asile psychiatrique pour avoir aidé à l’avortement d’une jeune fille mineure, enceinte de son frère, qui futelle-même condamnée à trois ans de prison.

« Mais la guerre va devenir le paradis des femmes du peuple. Jamais elles n’auront été aussi heureuses, tout au moins du point de vue matériel. Jamais elles n’ont gagné autant d’argent. Elles sont métallurgistes, chimistes, etc… […] Les bourgeoises d’un air pincé leur reprochent ces prodigalités. Elles devraient faire des économies. Comme si on pouvait faire des économies quand on ne sait pas de quoi sera fait demain. […]
Mais voilà la paix, les hommes rentrent et les femmes se serrent dans leurs cuisines, se contentent de maugréer. L’affranchissement féminin n’est pas pour demain, hélas. »

Madeleine Pelletier, Mémoires d’une féministe, dans Mémoires d’une féministe intégrale, édition critique de Christine Bard, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2024, p. 77.
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